ENTRETIEN AVEC CAROLE BUCKINGHAM
asophit | Publié le |
1-Comment allez-vous ?
Je suis en rémission du cancer. Mon dernier épisode psychotique date de fin 2019. Peut-être en raison du stress du traitement du cancer et peut-être aussi en raison de la coïncidence de la 30ème conférence de l’OTAN qui se déroulait à deux pas de chez moi. Je m’inquiète de l’attitude agressive de certains membres de l’OTAN.
Nous n’obtiendrons pas la paix et la fin de la guerre en tuant des gens. Et je déteste l’euphémisme «dommage collatéral» pour désigner le meurtre de civils innocents.
2-Pensez-vous que votre amour pour Paris est une réponse à la rigidité de votre éducation religieuse ?
Enfant, j’étais réfractaire à l’autorité. Celle de mes parents comme celle de l’église catholique. Le catholicisme irlandais de l’époque était trop austère. Mon amour de Paris est né de mon amour de la langue française et de mon goût pour la chanson française. Le français était une langue secrète que ma famille ne pouvait pas comprendre et où je pouvais exprimer mes pensées intimes.
3-Êtes vous retournée à Paris ? Si oui que pensez-vous de cette ville aujourd’hui ?
J’ai revisité Paris deux fois depuis l’événement de mes troubles de 1984 racontés dans mon roman. Une première fois comme une sorte de pèlerinage pour revisiter les endroits où je suis allée pendant mon épisode psychotique. Une deuxième fois simplement pour profiter de la vie de café et de la culture française. Je préfère Paris à Londres. L’horizon de Londres a été ruiné par les gratte-ciels. L’horizon de Paris est magnifique. Mais j’aime surtout où j’habite maintenant dans un village semi-rural.
4-P28 Schizophrénie, vous racontez votre première nuit avec Chris qui est vécue comme un traumatisme, pensez-vous que cet épisode puisse être le déclencheur de votre maladie ? Si non, y a-t-il, selon vous, un déclencheur (drogue, alcool, épisode traumatique ?).
La schizophrénie est définie comme une maladie mentale chronique dans laquelle une personne perd contact avec la réalité (psychose). Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les Nazis ont tenté d’éradiquer la schizophrénie par la stérilisation forcée et en tuant les patients psychiatriques. L’établissement médical ne connaissait pas vraiment la cause. Comme la maladie mentale devient si répandue de nos jours, elle pourrait être un sous-produit de l’évolution du cerveau et une réaction à la vie moderne.
5-P48 Schizophrénie, vous avez une Foi profonde et sincère, voire mystique, celle-ci vous sauve et, en même temps participe à vos bouffées délirantes, pensez-vous que cette Foi vous aide, ou, au contraire vous dessert ?
Ma foi est simple et me fortifie. Jésus est mon rabbin, mon catéchiste. Ma foi est basée sur les paraboles de l’Enfant prodigue (pardon) et du Bon Samaritain (compassion pour l’étranger). Pour moi ces deux paraboles montrent le chemin de la vie éternelle.
6-P11 Pandore, vous écrivez « parce que j’espérais une reprise de l’histoire de Jésus, mais qui cette fois finirait bien pour la terre entière ». J’imagine que vous évoquez ici la crucifixion, mais, en tant que croyante catholique, je pourrais vous répondre que la crucifixion est la fin parfaite. C’est la souffrance de Jésus qui rachète les péchés du Monde. Qu’en pensez-vous ?
Je n’aime pas penser à Jésus comme un bouc émissaire pour les péchés du monde. Il est la semence transformatrice qui est morte et qui conduit au salut de la famille humaine.
« En vérité, en vérité, je vous le dis si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul ; mais, s’il meurt, il porte beaucoup de fruits «
Ces mots de Jésus définissent le mystère pascal pour moi. Il y a deux sortes de mort, la mort naturelle et la mort pascale. La mort pascale est réelle comme la mort naturelle. Cependant, tout en mettant fin à une sorte de vie, la mort pascale nous prépare à recevoir une forme de vie plus profonde et plus riche. L’image saisissante du grain de blé qui tombe en terre et meurt pour produire une nouvelle vie est mon image de la mort pascale.
7-Lors de votre première crise en 1984, les voix étaient claires et nettes, sont elles encore présentes aujourd’hui ? et si oui, pour celles angéliques, les considérez-vous comme des amies, leur portez-vous un véritable attachement ?
Les voix émanent de mon inconscient. Elles peuvent être une source de création et d’inspiration mais elles peuvent aussi être très troublantes. Je suis consciente que je dois utiliser ma raison pour élucider la valeur de la communication. Mais lorsque je traverse le bombardement d’un épisode psychotique complet, c’est difficile pour moi de raisonner.
8-On sait que la schizophrénie ne doit pas être confondue avec le trouble TDI (trouble dissociatif de l’identité), cependant vos voix intérieures vous suivent comme des amies ou ennemis, elles font partie de vous, comment faire la différence alors, avec les TDI ?
Je crois que le TDI c’est que la personne incarne plusieurs personnalités différentes. Moi, je suis toujours restée moi-même, mais j’ai rencontré sous la forme d’hologrammes des gens comme Pocahontas, Édith Piaf et Yul Brynner. À travers ces personnages mon inconscient communiquait avec moi.
9-P58 et 66 vous expliquez avoir admis que le problème venait de vous et non du reste du monde; comment l’avez-vous admis ? Ne pensez-vous pas, que finalement, vos capacités cérébrales sont supérieures à la plupart d’entre nous et que vous voyez une réalité parallèle que nous ne percevons pas ?
Mon problème était que je cherchais l’amour – l’amour d’un homme – pour avoir une idée de ma valeur. J’aurais dû chercher l’amour du Créateur. Une fois que l’on a trouvé l’amour divin, on peut être un canal d’amour pour les autres.
10-Vous évoquez souvent « Mammon » qui représente la société de consommation et l’individualisme qui en découle, d’où vient ce mot ?
« Aucun homme ne peut servir deux maîtres : car toujours il haïra l’un et aimera l’autre. On ne peut servir à la fois Dieu et Mammon (Matthieu 6:24). »
Mammon, dans le Nouveau Testament de la Bible, est la richesse matérielle qui est personnifiée en divinité à laquelle les hommes sont susceptibles de vouer leur vie. Son adoration correspond dans l’Ancien Testament ou dans la Torah au culte du Veau d’or.
11-Finalement, au-delà des souffrances que vous avez vécu, et que vous vivez peut-être toujours, pourriez-vous dire que la schizophrénie est un bienfait car elle permet d’aller au plus profond de soi même et d’avoir accès à son inconscient (ce qui n’est pas envisageable pour une personne non atteinte par la maladie)
On peut atteindre l’inconscient par la prière. Je pratique la prière de consentement, centering prayer en anglais. C’est une prière contemplative et silencieuse. Cette prière est transformatrice et guérissante. C’est de la thérapie divine. Mon guide spirituel, le père Thomas Keating (un moine trappiste américain) disait que la première langue de Dieu est le silence ; tout le reste est une mauvaise traduction. Thomas Keating est mort en 2018. Il a aussi fondé l’association de Contemplative Outreach dont je suis membre.
12-Pouvez-vous m’expliquer ce qu’est la prière du cœur exactement ?
La prière du cœur, ou proprement dit, la prière du consentement a des racines très anciennes. La version moderne a été formulée et adaptée par le père Keating et ses associés. Cette prière ne donne pas toujours des résultats immédiats. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne se passe rien. Elle est une prière de pure foi. Il arrive donc que nous ayons l’impression qu’il ne se passe rien. Mais en réalité, il s’est passé quelque chose à un niveau très profond. Cette prière travaille au niveau de l’inconscient.
13-Le schizophrène croit en son délire, mais dans votre texte, il y a toujours une forme de recul, est-ce lié à l’écriture à posteriori, ou avez vous toujours une forme de conscience raisonnable pendant les crises ?
Vivre un épisode psychotique, c’est comme entrer dans une transe chamanique. On peut devenir hystérique et avoir des hallucinations qui peuvent persister pendant des semaines. Ce n’est qu’après l’expérience que je peux tenter une analyse. Il est important que l’expérience ne soit acceptée sans discernement. Au fil des années, j’aurai 66 ans cette année, je suis passée de l’obscurité à la lumière, de l’ignorance à la clarté. Le Paradis n’est pas un lieu, mais un état d’esprit. L’éternité, c’est maintenant – l’instant présent.
14-Et puis, puisque vous êtes passionnée par le monde, que pensez-vous de son état aujourd’hui et quelles sont les causes pour lesquelles vous vous battez ?
Je suis étroitement liée à l’agence de bienfaisance Guideposts qui s‘occupe des personnes ayant des problèmes de santé mentale. J’écris régulièrement pour leur journal.
Je suis membre de Contemplative Outreach. Contemplative Outreach est un réseau de communautés et d’individus qui pratiquent une prière de silence très simple qui prend appui sur la présence aimante et agissante de Dieu en chaque personne. La pratique quotidienne (deux périodes de 20 minutes) et le soutien d’un groupe de rencontres hebdomadaires contribuent à ce que notre vie quotidienne soit configurée par le Christ. Peu à peu, nous vivons la dimension contemplative de l’Évangile.
Je suis membre de l’Association universelle d’esperanto qui a pour but de promouvoir et de développer l’usage de l’esperanto pour faciliter la communication internationale. J’apprends l’esperanto et j’aime beaucoup m’associer aux activités de l’association.
Il faut accepter le monde tel il est ; j’essaie de mener une vie d’action nourrie par la prière. Je pense globalement, mais j’agis localement. Si par mes livres et mes écrits j‘ai repoussé un peu les préjugés qui entourent la schizophrénie et d’autres maladies mentales, j’aurai atteint mon but.
Carole Buckingham, janvier 2022.
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